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J'ai grandi à Saint-Étienne-de-Montluc, chef-lieu de canton, 5 000 habitants à l'époque, à 20 kilomètres de Nantes, entre bocage et marais. J'ai d'abord voyagé sur les hauteurs du Sillon de Bretagne. Ce territoire, c'était ma « jungle », comme dans les aventures de Kipling, Kessel et consorts. J'avais une grosse appétence pour les récits d'exploration. J'adorais aussi dévorer les albums de bande dessinée avec une préférence pour le reporter Tintin, les agents du contre-espionnage Blake et Mortimer ou encore le cowboy rebelle Blueberry. Tout ça a contribué à développer ma curiosité et mes envies d'ailleurs, d'autant qu'exceptées 2-3 semaines de vacances en France, je bougeais peu. Mes parents n'avaient pas de résidence en bord de mer ou à la montagne. Je me revois enfant en quête perpétuelle d'aventures à la Phileas Fogg. Perché dans notre cabane en haut d'un chêne, près des vignes et du moulin de mes grands-parents, je vivais la vie au grand air avec gourmandise, intensité et insouciance. Mes lectures, les films de guerre et les westerns de La dernière séance chantés par Monsieur Eddy nourrissaient mon imaginaire. Aux côtés de mon frère Yvonnick, de mes cousins Jérôme et Gildas, nous vivions les frissons de l'ailleurs par procuration. Nous étions tour à tour indien, cowboy, soldat confédéré, yankee, résistant ou chouan… Dans notre fortin, nous guettions l'attaque imminente d'un ennemi, prêts à riposter. Nous avions l'avantage du terrain. Nous dominions la Loire, les marais contigus et bien entendu le monde. Dernièrement, un cliché vu sur la Toile m'a fait sursauter, il m'a rappelé d'autres années, celles de mon adolescence à Nantes. Avouons-le il y a prescription. Nous étions en 1990. J'avais 16 ans et l'envie folle de gagner un concours photo avec le copain Charles. Le tablier du pont de Cheviré qui relie le sud de la Loire-Atlantique à sa partie bretonne n'allait pas tarder à être posé. L'opportunité de prendre l'incroyable en photo était toute trouvée pour les ados que nous étions. Avec Charles, nous sommes donc allés « là-haut » avant que cet ouvrage ne soit finalisé et fréquenté par des voitures. Nous avons escaladé sans peine les barrières de chantier pour parvenir à la future route à l'une des extrémités du pont, rive droite je crois. Après quelques contorsions et une descente vertigineuse, dans mon souvenir toujours, nous nous sommes installés dans l'un des échafaudages bleus suspendus au-dessus du vide. La Loire limoneuse coulait à plusieurs dizaines de mètres sous nos pieds, des centaines de mètres, raconterons-nous a posteriori. Nous étions ainsi persuadés que nous allions faire des clichés inoubliables de Naoned (Nantes), notre ville natale, et gagner ce foutu concours. Bien entendu, nous n'avions ni casque, ni autorisation, ni équipement de sécurité et… ni parachute ! Nous ne nous sommes pas arrêtés là car ensuite nous avons filé à l'aéroport voisin qui s'appelait encore « Château-Bougon ». Nous nous sommes positionnés en bout de piste, sans autorisation toujours. Nous nous sommes allongés dans l'herbe pour prendre un autre cliché inoubliable, celui d'un avion au décollage. Nous étions inconscients mais si heureux de tant de créativité. Bien évidemment, au développement, nos photos étaient ratées, floues et sans intérêt. Personne ne nous avait appris les règles basiques de la photographie, mais nous avions vécu la fièvre de l'aventure… Si ma fille Joséphine m'annonçait pareilles expéditions, je serais fou d'inquiétude et de colère. Vieillirais-je ? Je n'ai finalement voyagé au long cours que tardivement. Je n'ai pris un long-courrier qu'en l'an 2000. Au culot, j'avais réussi à me faire accréditer afin de couvrir un événement du monde de l'aventure alors phare : le Camel Trophy, version nautique. J'ai ainsi découvert l'Océanie, les îles Tonga et Samoa, les mille et une nuances de bleu, les cocotiers et les alizés. J'avais 26 ans, je bouffais enfin le monde et les latitudes. J'étais Tintin-reporter. Vingt-deux ans plus tard, je continue de bourlinguer. Cette fois, je navigue sur l'océan Indien pour y vivre une nouvelle épopée à l'écart des tumultes de l'actualité, de la guerre en Ukraine, de la révolte en Iran et en Chine, et de cette coupe du monde au Qatar conspuée avant d'être adulée. Au milieu du grand bleu, mes pensées vagabondent. Pont numéro 9 du navire Agulhas II sur lequel j'ai embarqué pour raconter une mission océanographique avec les Explorations de Monaco, je repense à mes autres embarquements. Pourquoi tant vouloir désirer vivre la fièvre de l'aventure finalement ? Tiens, le soleil vient de disparaître de l'horizon, le ciel s'embrase. Mon imaginaire aussi. Je suis encore le roi du monde, enfin… de mes mondes. D'ici là, restons forts et inspirés, Stéphane Dugast
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Privilège octroyé cet été aux cyclistes, j'allais pouvoir emprunter à deux-roues (et sans mettre pied à terre) le pont-passerelle qui mène au pied du site. L'heure était donc à l'allégresse et à l'insouciance. Je roulais sur une départementale trop fréquentée – une portion de la voie verte était en travaux – quand un chauffard en mode Fangio m'a frôlé et bien failli m'envoyer au tapis. « Catachrèse ! Bachi-bouzouk ! ». Je jurais comme mon capitaine barbu de papier préféré. Ivre de colère, j'oubliais mes douleurs et pédalais à « toute berzingue » pour rattraper ce « crétin de Normandie » et l'invectiver. Je comptais le retrouver bloqué dans le trafic à l'approche du site emblématique, raté ! Le cabriolet Mercedes noir et son « moule à gaufres » de chauffard s'étaient évanouis dans la nature. Il ne me restait dès lors plus qu'à savourer la fin de cette nouvelle aventure accomplie depuis chez moi, à Paris, sur une voie cyclable baptisée « la Véloscénie ». Ce périple n'a certes rien d'un exploit sportif mais il constitue une véritable odyssée pour qui sait ralentir la marche du temps, produire des efforts et exercer ses sens. L'aventure a été belle, et bucolique. À de rares exceptions près, je n'ai, en effet, roulé que sur des pistes aménagées, des voies vertes, des routes de campagne et des chemins forestiers, traversant ainsi la vallée de Chevreuse, le Perche, l'Orne et le bocage normand. J'ai pédalé, la truffe au vent, dans une France rurale, celle que j'avais imaginée, rêvée et fantasmée deux ans auparavant, lorsque j'avais traversé à deux-roues (et sans moteur) notre pays par sa « Diagonale du vide », de Dunkerque à Hendaye. J'aime le vélo. J'aime à pédaler et à voir défiler les paysages à vitesse raisonnable. Cette nouvelle aventure vélocipédique m'a permis de renouer avec le terrain (après des mois derrière un écran d'ordinateur à écrire). J'ai aussi renoué avec les plaisirs du bivouac et la vie sous toile de tente. Mention spéciale à mon matelas pneumatique ultraléger mais percé. J'ai repris goût à faire « escale » dans les bars-restaurants-pmu pour y remplir mes bidons d'eau fraîche mais également écouter les conversations de comptoir. J'ai eu chaud et soif. J'ai eu des coups de soleil et des coups de bambou.
« Cyclistes, fortifiez vos jambes
en mangeant des œufs mollets » Pierre Dac J'ai alterné entre des moments de grâce, où mes jambes tournaient toutes seules, et des instants plus douloureux, lorsque cuisses, ischios et mollets se contractent. Le moral et le courage font alors le reste. Bref, le vélo longue distance est une allégorie de la vie avec une route à parcourir, des obstacles, des hauts, des bas, des peurs, des imprévus, des surprises, des déconvenues mais surtout des rencontres. Heureux, satisfait et fier de conclure cette Véloscénie, je pouvais dès lors partir en vacances en famille. L'occasion de souffler, de siester, de nager, de lire, de profiter de l'instant présent mais surtout de se tenir à l'écart des réseaux sociaux et de ces autres activités connectées qui nous font perdre un temps si précieux. Comme un écho aux propos d'Isabelle Autissier, navigatrice-écrivain qui, suite à l'une de mes « questions-à-la-con-de-journaliste » (sic) sur l'au-delà lors d'une récente interview, m'avait répliqué du tac-au-tac : « Vous savez, le temps, c'est notre richesse à nous, les humains. Le reste, c'est de la foutaise ! ». Une philosophie que j'ai assurément fait mienne cet été. N'en déplaise au grand Léo, avec le temps, tout ne s'en va pas ! D'ici là, restons forts et inspirés, Stéphane Dugast
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Avec mes acolytes, Bruno et Julien, photoreporters et co-fondateurs de ce journal, ainsi qu'Hanicka, à l'initiative de ce projet éducatif, nous sommes les invités, et le « fil rouge » de deux journées en milieu scolaire consacrées à la sensibilisation et à la lutte contre les discriminations. L'occasion de parler à 350 collégiens et lycéens de notre métier, et plus spécifiquement du sujet des migrants. Le grand reportage se partage aussi dans le blanc des yeux, « histoire parfois de rallumer des étoiles », me plais-je à dire. Là-bas, les lumières se sont, en revanche, éteintes pour elles. Elles qui étaient à l'honneur et en couverture de notre précédent numéro. Notre façon de mettre en lumière un pays oublié des médias, et de faire écho à l'obligation récente qui leur a été imposée de devoir dorénavant porter un voile intégral en public. Elles, ce sont les femmes afghanes. Premières cibles de la doctrine des talibans, elles voient leurs acquis chèrement gagnés réduits à néant par les maîtres de leur pays. À leur retour au pouvoir l'été dernier, les talibans avaient pourtant promis de se montrer plus souples et plus tolérants en la matière. Ils ont renié leurs engagements. L'histoire se répète, et l'issue est dramatique. Ne les oublions pas ! Ne verser ni dans le simplisme, ni dans le manichéisme, et encore moins dans le conformisme, tel est notre leitmotiv d'Embarquements, la preuve dans ce numéro 6. Direction la Russie, afin de nous intéresser non pas à Poutine (et sa clique) mais à un peuple opprimé : les Saamis de la péninsule de Kola. Eux qui se sont mieux adaptés au blizzard qu'au communisme, eux dont le pouvoir a voulu éradiquer toutes les traditions. Grâce à l'œil de Natalya Saprunova, opportunité nous est ainsi offerte de découvrir ce peuple fier de sa culture, mais aussi de vivre dans la modernité, comme en atteste d'ailleurs notre couverture colorée et lumineuse. Un grand reportage signé d'une trentenaire venue elle aussi de l'Arctique russe, et formée au photojournalisme en France. Citoyenne du monde, Natalya est une photoreporter qui affectionne les sujets de société, d'ici et d'ailleurs, liés à l'identité, à la jeunesse, à l'immigration, à l'environnement et à la spiritualité. Avec Michel Izard au Botswana, Jean-Christian Kipp en Ukraine ou encore Volodia Petropavlovsky aux États-Unis pour ne citer qu'eux, nous faisons nôtre la devise d'Albert Londres, grand reporter et modèle en son genre : « Notre métier n'est pas de faire plaisir, non plus que de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie ». Avec le journal Embarquements nous incombe, en effet, la mission de vous « éclairer » autrement sur un monde certes fragmenté, mais où subsistent heureusement des « îlots de lumières », et des raisons d'espérer. Une question de sensibilités en somme. En photographie, la sensibilité à la lumière se mesure et se corrige. Elle est de surcroît une donnée essentielle pour assurer la meilleure exposition, et réaliser des images lisibles, compréhensibles. Une allégorie parfaitement raccord à notre état d'esprit du moment, vaillant et conquérant. Nos métiers-passions nous portent, comme les rencontres que nous faisons sur tous les terrains, et qui nous réservent des surprises. Au lycée Léon Blum, un élève a d'ailleurs eu une réponse percutante : « L'exploration, c'est quoi ? C'est aller là où les autres ne vont pas. C'est aussi conquérir le cœur des hommes, mais surtout faire du bien avant qu'il ne soit trop tard ». Thèse, antithèse, synthèse. Vous avez 2 heures avant que je ne ramasse les copies. D'ici là, restons forts et inspirés, Stéphane Dugast
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Malgré ce coup du sort, nous allons assister, à 4 heures 08 minutes précises, à un phénomène rare, et seulement observable en cette fin d'année 2021 en plein océan austral au nord-est de la péninsule Antarctique, une région inhabitée et inhospitalière du globe. Face à la proue du bateau parfaitement positionné, nous allons finalement pouvoir contempler une éclipse solaire totale, et ce malgré l'épais voile nuageux. Ainsi va surgir le « soleil noir », plongeant Le Commandant Charcot dans une épaisse obscurité, avant que la lumière ne revienne au terme de « 96 secondes d'un spectacle dantesque », selon le commandant Garcia, les yeux encore brillants d'excitation. Quant aux passagers, ils commenteront à l'envi des heures durant la variation subite de lumière accompagnée d'une chute vertigineuse du thermomètre bientôt suivie de précipitations neigeuses. Pour Serge Brunier, lui « l'obnubilé du ciel, de la cosmologie et des galaxies lointaines » (de son propre aveu), un détail l'a frappé : « le vol erratique de six chionis blancs, une espèce d'oiseaux endémique, complètement désorientés à quelques minutes de l'événement, au point de se poser sur le toit du bateau pour assister comme nous à l'éclipse ». Dame-Nature n'en finira donc jamais d'étonner Serge-le-spécialiste. Pour lui, ces 96 secondes auront finalement duré une éternité. Pour moi aussi.
« Ô sublime Pachacamac !
Je t'adjure de manifester ta toute-puissance ! Si tu ne veux pas de sacrifices, voile ici, devant tous, ta face étincelante… » Tintin dans Le Temple du Soleil Depuis des millénaires, les éclipses solaires totales fascinent logiquement les hommes. J'ai fait connaissance avec ce phénomène céleste grâce à l'album BD Le Temple du Soleil. Souvenez-vous : Tintin, Haddock et Tournesol sont faits prisonniers par une tribu d'Incas. Ils doivent même être sacrifiés sur un bûcher pour le dieu Pachacamac, fils du Soleil et créateur de la Terre. Heureusement, le reporter à la houppette a plus d'un tour dans son sac. Il sait que va bientôt survenir une éclipse grâce à une page de journal tombée de la poche du capitaine Haddock, « Mille millions de mille sabords ! ». À l'instar de nombreux gamins, les albums d'Hergé m'ont d'abord fait rêver avant de m'inciter à briser à mon tour les frontières et à vivre les beautés du monde in situ et in palpu. « Faites que le rêve dévore votre vie afin que la vie ne dévore pas votre rêve ». J'ai fait mienne la philosophie du Petit Prince de Saint Ex'. Osez l'aventure ! Elle n'est pas seulement l'apanage d'une clientèle de touristes privilégiés embarqués dans une « croisière-expédition » à destination de l'Antarctique. L'aventure est partout ! Tenez, concernant les prochaines éclipses solaires totales près de chez nous, rendez-vous le 12 août 2026 dans le nord de l'Espagne, et le 3 septembre 2081 en France. Cette éclipse totale (d'une durée estimée à 333 secondes) sera la première à traverser notre métropole, de la Bretagne et Normandie jusqu'en Bourgogne-Franche-Comté et en Alsace. La suivante (215,8 secondes) surviendra le 29 septembre 2090, allant cette fois du nord de la Bretagne pour finir au-delà de Paris. La Nasa est formelle, et ses prédictions jugées ultra fiables. D'ici là… Restons forts et inspirés ! Stéphane Dugast
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« Ceux qui font du vélo savent que dans la vie, rien n'est jamais plat » René Fallet
Sur ma selle, la suite de ma journée sera plus calme. Avec Raymond, 4 heures durant, je vais pédaler sur une voie royale, celle des grands crus de Bourgogne. Chenôve, Marsannay-la-Côte, Gevrey-Chambertin, je traverse à vitesse d'escargot les vignobles de la Côte de Nuits. Savigny-lès-Beaune, Pommard, Meursault, j'enchaîne à un train de sénateur les chemins vicinaux de la Côte de Beaune. En fin d'après-midi, je bascule dans le département de la Saône-et-Loire. Changement de décor, aux vignes succèdent des champs. Première victoire symbolique, je boucle ainsi ma traversée à vélo du département de la Côte d'Or. Tout cela me réconforte dans l'idée que respirer la liberté à pleins poumons ne nécessite pas de grands moyens : un vélo et de la motivation ! Mon corps et mon esprit enfin en harmonie, je décide de vivre chaque seconde avec gourmandise et intensité. J'ai tout le matériel pour bivouaquer mais je décide de passer la nuit au chaud. Au Formule 1 de Montchanin, je compte me reposer, manger et bien dormir. Résultat, je suis impatient d'avaler les bornes le lendemain. Comme la veille, j'emprunte des portions de la D974 qui longe un canal avant de découvrir, heureux comme un gosse, des tronçons impeccablement fléchés de La Scandibérique. L'Eurovélo n°6 offre à tous ses usagers l'opportunité de rouler sur des routes peu fréquentées. Je vais dès lors savourer ces moments de tranquillité à pédaler loin des tumultes de notre société connectée souvent hystérique. Mon cœur va même sursauter à la vue de 2 biches puis de 5 hérons cendrés. J'ai fantasmé cette France du sauvage quand j'ai envisagé de pédaler dans la France en diagonale. Bientôt midi, Paray-le-Monial et ses nombreux clochers sont en vue. Kilomètre 144, je déboule à la gare SNCF déserte. Je suis de retour là-même où j'ai débarqué 14 mois auparavant en provenance de Dijon via un TER alors chargé de cyclo-randonneurs. Je peux rentrer à Paris l'esprit apaisé : j'ai réussi mon défi, celui de traverser intégralement notre pays à bicyclette, et ce à la seule force de mes mollets et de mon mental. Il est temps de détacher du cadre mes sacoches, mes deux roues, ma selle et sa tige. Je fourre Raymond ainsi désossé dans sa housse de transport. J'enfile un tee-shirt crasseux par-dessus mon maillot jaune qui pue la transpiration. Je remets un foutu masque. Voilà, j'en ai fini de mon odyssée à travers La France Réenchantée. J'ai la pédale joyeuse. Je me suis offert une tranche de liberté à rebours de l'ère du temps si propice à canaliser les envies d'ailleurs. Dans le TGV, les paysages défileront bientôt à près de 300 km/h. Étranges sensations, l'ivresse de l'aventure sûrement. Restons forts et inspirés ! Stéphane Dugast
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Le professionnel avait également surgi dans ma vie. Lui a une gueule, du charisme et surtout une aventure spectaculaire à vendre. Une qui va le propulser sur le devant de la scène et lui permettre de dérouler son business model. Lui aussi doit se montrer partout, jouer des coudes et du réseau, quitte ensuite à en oublier des fondamentaux. Moins requin avait été L'Héritier, à qui rien ne peut normalement arriver. L'Incorrigible avait quant à lui été plus malin, préférant d'entrée de jeu me flatter. Oui, bien sûr, j'étais Le Professionnel le plus talentueux du milieu, ou plutôt du marché. Lui avait besoin de ma plume pour écrire son prochain livre. Sa vie était d'ailleurs digne d'un roman d'aventures. Bien entendu, nous allions partager les gains colossaux des ventes de "notre" futur best-seller. Quant aux pourcentages, la promesse était plus vague. Comme Un singe en hiver à qui l'on n'apprend plus à faire des grimaces, je n'avais alors plus répondu à ses incessantes relances. De toute façon, lui voyageait tous azimuts tandis que je partais en Week-end à Zuydcoote faire du char à voile le long de la mer du Nord. Ainsi donc, de nouveaux aventuriers 2.0 étaient devenus Les Acteurs incontournables du milieu, et moi Le Marginal. Né au mitan des années 1970, j'étais déjà has-been avant d'avoir été. La Scoumoune, oui ! Les Morfalous et autres bâfreurs, boustifailleurs, gloutons, goinfres et fabricants d'aventures me ringardisaient définitivement. À bout de souffle, j'ai pris la tangente cet été. Direction un bout de l'Europe, cap sur les Balkans et la Slovénie pour m'aérer les neurones. Au Robinson River Camp, dans le nord-ouest du pays, j'ai été gâté. Là-bas, dans ce site sans électricité, ni eau courante, ni douche chaude, et encore moins de wi-fi, le temps s'est égrené autrement. Tout cela au bord d'une rivière, d'une forêt… et d'un champ de cannabis ! Même sans fumer, un détail m'a intrigué dès mon arrivée : la présence en hauteur d'immenses filins recouvrant un quart du terrain. Était-ce pour dissuader les parapentistes d'atterrir ici ? Le cerveau en ébullition, j'étais perdu dans mes pensées quand il a surgi de sa cabane, sans faire "toc, toc, badaboum…". L'approche a été plus furtive, et d'abord silencieuse. Le visage émacié, le nez aquilin, la silhouette fine, le cheveu court, le regard pénétrant, la cinquantaine alerte, il avait tout de l'ancien militaire, et même du "barbouze". "No speaking English but Russian and Slovenian" m'a-t-il lancé dans un anglais râpeux à souhait. Il allait être a priori difficile de se comprendre. L'euro est heureusement un langage universel. Mon hôte s'est alors montré un brin plus prolixe. Le cannabis du champ voisin était cultivé pour un usage médical. Quant aux filins métalliques, il s'agissait d'antennes relais. Alexander était russe et slovène mais surtout radioamateur, et donc pratiquant d'un loisir qui consiste à établir des liaisons radio avec d'autres passionnés disséminés dans le monde entier. À l'heure des connexions à haut débit et du "m'as-tu-vu" numérique, j'aime ces anachronismes et ces gens à rebours de leur temps. Le dernier matin, avec Alexander nous sommes partis assister au lever du soleil dans ses montagnes. L'instant magique incitait à la contemplation et au silence. Le Magnifique est décidément partout à condition de savoir déconnecter. Bébel-ement vôtre. Restons forts et inspirés ! Stéphane Dugast
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Sur la route, mon esprit continue néanmoins de s'échauffer, et ce malgré les vitres que j'ai ouvertes afin de faire souffler un air glacial sur mon crâne, histoire ainsi de rester éveillé (à ma façon !). Il faut dire que je viens de m'enquiller près de 1 200 kilomètres. La Bretagne, Dinard et les bords de la Rance ne sont d'ailleurs plus que de lointains souvenirs. Quant à ma route, elle s'est sérieusement cabrée depuis Bourg-Saint-Maurice, m'obligeant à suivre des virages en épingle à cheveux, et m'imposant de facto une vigilance absolue. Direction la station de Val d'Isère, 1 850 mètres d'altitude en bas des pistes. Je pars là-haut pour officier comme « Monsieur Loyal » d'un événement réputé dans le milieu : le Festival international du film Aventure & Découverte. Malgré un contexte sanitaire anxiogène, les organisateurs ont tenu bon, bravo ! De mon côté, je n'en mène pourtant pas large. Je pars y remplacer un homme de plume et d'action, qui excelle sur scène lors de chacune de ses interventions. Le public raffole de ses bons mots, de ses références littéraires et philosophiques, de ses anecdotes et autres aphorismes, qu'il a le secret de balancer avec tact et à propos. Écrivain-voyageur adulé, Sylvain Tesson est une « vedette ». Lui succéder est un cadeau empoisonné. Les pensées se bousculent dans ma tête à mesure que je m'approche de « Val » comme disent ses habitués. Subitement, à la sortie d'un tunnel je manque de faire un tout droit dans le ravin voisin afin d'éviter une grosse pierre tombée de je-ne-sais-où au milieu de la route. La traîtresse, si près du but… La suite aurait dû s'écrire au plum', bien au chaud sous la couette. Malgré une immense fatigue, je ne trouve pas le sommeil. Pire, mon cerveau est en ébullition. Je décide alors de partir marcher dans la nuit. Presque à tâtons, je descends la petite route qui me mène en contrebas de la face de Bellevarde. La lune est trop timide pour laisser deviner ses pentes abruptes. Les sommets sont eux aussi invisibles, et encore insondables. Les pieds dans la neige et le nez dans la voûte céleste, je respire à pleins poumons, savourant tout simplement l'instant présent. J'oublie mes 12 heures de route, France Inter que j'ai écouté toute la journée, les partisans du woke ou ceux de l'écriture inclusive, un autre sujet qui me taraude, tant cette écriture nouvelle prétend lutter à bon escient contre la domination du masculin sur le féminin. Balivernes ! Là encore, simplisme et bon sentiment font mauvais ménage, occultant des pans entiers de nos particularismes. L'ère est à l'hygiénisme de la pensée, beurkh ! Le froid piquant et vivifiant va heureusement calmer le flot tumultueux de mes réflexions. Il est temps maintenant de rentrer au chalet. Demain, et les jours suivants, j'ai à interroger des gens qui aiment à explorer les ailleurs (et de plus en plus les ici). Dans ce numéro 2 d'Embarquements, ils sont amplement mis à l'honneur, des plus médiatiques aux plus anonymes. Là est notre voeu le plus cher, celui de vous proposer de découvrir « le monde tous azimuts » pour piquer votre curiosité et pourquoi pas « rallumer les étoiles ». Cet été, au bivouac, la nuit nous appartiendra enfin, et c'est tant mieux ! Restons forts et inspirés ! Stéphane Dugast
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Certes, l'univers de la presse va mal, les actualités du monde sont anxiogènes, mais nous avons eu à cœur avec ce premier numéro d'Embarquements (et les trois suivants) de vous proposer pour l'année 2021 une nouvelle fenêtre sur « le monde tous azimuts ». C'est pour nous un défi stimulant d'autant que l'on mesure mieux, depuis notre campagne participative sur Ulule (un vrai succès, encore merci à vous !), votre soutien, votre générosité mais surtout vos attentes. Bien entendu, nous tiendrons tous nos engagements, dont acte ! Pour l'heure, il y a l'Histoire, celle avec un grand « H », et pleins d'histoires qui ne s'écrivent pourtant jamais en minuscules. La première sera féérique si l'on découvre bientôt de la vie sur Mars ou ailleurs, mais pour l'heure, elle est souvent tragique comme au Tigré, aux confins de l'Éthiopie, où la population civile, privée de tout et menacée de famine, est la première victime des combats entre armées indépendantiste et gouvernementale. Une histoire poignante que nous raconte le photoreporter Nicolas Cortès. Il a passé plusieurs semaines sur place, et il nous ramène un « grand reportage » à l'ancienne, fidèle à la maxime d'Albert Londres : « Notre métier n'est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie ». Des histoires glaçantes, nous vous en proposons également comme celle de Romain, Vandendorpe désireux de battre un record du monde d'immersion dans les glaces. Un défi inutile ? Pas vraiment, l'aventurier nous explique brièvement pourquoi. Lui aussi s'est battu avec le froid, mais pendant 51 jours, là-bas seul et sans ravitaillement au cœur de l'Antarctique, à destination du pôle sud géographique. Au-delà de sa gueule d'ange, Matthieu Tordeur, l'ex-benjamin de la Société des Explorateurs Français, narre à sa manière la grande aventure, ses valeurs et ses coulisses dans une société médiatisée qui n'a pourtant tendance qu'à retenir l'exploit et les paillettes. Oui, nous affectionnons les gens de terrain et le passé (celui qui éclaire notre avenir) et nous nous sommes intéressés à une dynastie. Les Piccard, grand-père, père et fils, ont exploré notre planète, du ciel aux abysses, en quête chacun de défis mais surtout de progrès et de sciences. D'autres histoires en lien avec la Nature ne nous ont pas laissés insensibles, à commencer par la quête du sauvage de Camille Poirot, un jeune photographe, qui aime à arpenter, été comme hiver, ses si chères Pyrénées. Parce que la montagne, ça nous gagne, nous n'avons pas oublié l'autre grand massif français avec les Alpes. Pleins feux sur le téléphérique de l'Aiguille du Midi, le plus haut d'Europe, un lieu d'ordinaire fréquenté chaque année par plus de 800 000 visiteurs. Mais ça, c'était avant… Là-bas, la nature est quant à elle farouche, sauvage, puissante et indomptable, comme à Cherrapunji en Inde avec ses ponts en lianes, ou sur l'atoll de Clipperton, un confetti de notre république mais surtout une île sentinelle du climat de notre planète. Stéphane Dugast
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